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  Dans les années 20, la Jamaïque est en proie à une crise économique dont elle ne se remettra jamais vraiment ; les premiers à en faire les frais sont bien évidemment les Noirs, dont la plupart sont les descendants des esclaves importés d'Afrique presque 400 ans auparavant. Dans ce système colonial sous contrôle de l'empire Britannique, les Noirs n'ont que les yeux pour pleurer ; la dignité est un luxe, l'argent une chimère. La réalité est faite de racisme, de pauvreté, de persécutions. 
 Un homme guère plus lettré, ni mieux loti que les autres se distingue pourtant de la masse par sa détermination et son engagement. Il s'appelle Marcus Mosiah Garvey. D'abord syndicaliste, puis éditeur de son propre journal exclusivement réservé aux Noirs, Garvey se révèle être un formidable orateur. Il fonde l'U.N.I.A., un mouvement pour le progrès du peuple noir. A force de meetings, de prêches et de propagande pro-africaine, Garvey rassemble des centaines de milliers d'hommes et de femmes désireux de faire enfin valoir leurs droits auprès d'un système contrôlé par les Blancs.  
 En Amérique, où se situe le plus gros de sa clientèle, Garvey fonde la Black Star Line, compagnie de transport maritime, avec laquelle il espère bien mener à bien son grand projet : 

organiser le retour de son peuple en Afrique, terre des origines. Il rencontre les dirigeants du Ku Klux Klan avec lesquels il négocie son affaire. Marcus Garvey est le précurseur des leaders noirs Malcom X et Martin Luther King et comme eux, il est victime tout au long de sa vie de la haine et de l'incompréhension. Jugé puis condamné pour une histoire de fraude fiscale (initiée par un autre militant noir anti-esclavagiste, W.E.B. Dubois), Garvey est emprisonné. Une fois libéré il retourne en Jamaïque où il continue son activité militante. Un dimanche matin, il lance une prophétie qui intrigue tous les fidèles présents : "Regardez vers l'Afrique, où un roi noir va être couronné, car le jour de la délivrance est proche". Quelques temps plus tard, il s'exile en Angleterre, où il mourra d'une pneumonie, sans avoir jamais mis les pieds en Afrique. 

   En 1930, un régent d'une province tribale, prince de son état, hérite du trône de l'Empire éthiopien. Le Ras Tafari Makonnen, petit neveu du grand Ménélik II, 225ème descendant d'une lignée qui remonte au Roi Salomon devient Haïlé Sélassié Ier, Roi des Rois, Seigneur des Seigneurs, Lion Conquérant de la Tribu de Judée. 
    Pour les Garveyites, cela ne fait plus aucun doute. Sélassié est le roi noir annoncé par la prophétie. Leonard Howell est un Noir jamaïcain adepte de la pensée de Garvey, qui va pousser le raisonnement un peu plus loin. Il étudie la Bible pendant trois ans, et ses conclusions sont sans appel :  Haïlé Sélassié est le messie, le Christ qui revient comme l'annoncent les textes (notamment ceux de l'Apocalypse de Saint-Jean). En effet, la Bible mentionne que le Christ reviendra après environ deux mille ans et qu'à son retour il sera le Roi des Rois, le Seigneur des Seigneurs, Lion Conquérant de la Tribu de Judée.  
    Une chose en entraînant une autre, d'autres recherches démontrent qu'une partie de la Bible a été transformée au profit de l'homme blanc ; d'ailleurs, de nombreuses études scientifiques tendent désormais à prouver que vu l'endroit et l'époque, les principaux personnages bibliques, dont le Christ, étaient probablement de couleur. Par le biais de raisonnements en cascade, la pensée Rasta s'élabore. 

Les principaux postulats de cette nouvelle évidence sont les suivants : Haïlé Sélassié est Dieu (JAH, par contraction de Jéhovah) ; les Noirs revivent l'histoire des Juifs en Egypte (400 ans d'esclavage, sur une terre qui n'était pas la leur) ; le salut du peuple noir se trouve dans son rapatriement vers l'Ethiopie, au sens étymologique du mot (la terre des faces noires). 
    Dès lors, de nombreux Noirs jamaïcains dont beaucoup d'adeptes de Garvey adoptent cette nouvelle croyance et se donnent eux-mêmes le nom de Rastafari, du nom civil de Sélassié. Les Rastas sont en rupture totale avec le système, qui (re)devient Babylone, la cité de la perversion et du mal. Les Rastas s'installent d'abord dans les collines, à l'écart de tout et vivent en totale autarcie. 
    Suivant les recommandations du Lévitique, ils ne se rasent plus, ne se peignent plus et ne se coupent plus les cheveux. C'est ainsi qu'ils héritent de leurs légendaires dreadlocks. Ils ne mangent plus de viande, et fument "les feuilles de l'arbre de vie qui sert à la guérison des nations", autrement dit, la Ganja, en attendant le jour du retour vers Zion, soit la terre promise africaine. 
    Mais les Rastas sont vite persécutés à leur tour. La police brûle les champs de Ganja, coupe les nattes des adeptes et leur fait subir toutes les humiliations possibles. 

De fait, les Rastas se dispersent. Beaucoup émigrent vers les villes, où ils se retrouvent cantonnés dans les ghettos : Trenchtown, Back O'Wall, Dungle, Rema... Les Rastamen sont pacifistes, sages, vivent dans l'amour de leurs prochains et dans le respect des lois divines.  C'est en se mariant avec la musique Reggae que le rastafarisme se fera connaître du monde entier, proposant alors aux populations en mal de justice et de dignité, une vision positive et enthousiaste de l'avenir. Car de fils d'esclaves, les Rastas deviennent des fils de Roi. 

Les Rastas sans être machistes ne sont pas pro-féministes, et au sein du mouvement, les femmes n'ont guère de rôle à jouer. 
    Rasta n'est pas une religion. Une religion existe au sein d'une structure hiérarchisée (des chefs), d'une structure matérielle (église, temple ou autre) et de procédures (rites, prières, offices etc...). Le rastafarisme est dans ce sens une anarchie totale, sans la moindre ébauche d'organisation, sans chef (au mieux, quelques aînés font autorité), où rien n'a été établi. Le mouvement abrite en son sein différentes branches, séparées par de subtiles différences, allant des plus libres aux plus rigoureuses, comme le groupe appelé "les douze tribus d'Israel" et dont l'un des plus célèbres adeptes était Bob Marley. 
    Lorsque l'on annonça la mort d'Haïlé Sélassié en 1975, beaucoup de détracteurs du mouvement pensaient que les Rastas ne feraient plus long feu. "On ne peut pas tuer Dieu", clamèrent les fidèles, "on ne peut pas changer la prophétie". On compte environ deux millions d'adeptes à travers le monde aujourd'hui.

 "Religion ? Ce n'est pas de la religion... C'est la vie !"

Bob Marley